vendredi 4 juillet 2014

Bref, je suis monitrice d'équitation

J'entre au club suivie par les chiens squatteurs, je jette un œil aux chevaux dans leurs paddocks et un autre à l'état de la carrière. Il a plu, va-t-il encore pleuvoir ? Pas sûr, espérons que non, on verra. J'ouvre le bureau, pose mes affaires, dis bonjour à la première cavalière qui arrive. Elle demande ce qu'on fait, je répond balade, elle râle, je la regarde, elle me regarde, je la regarde, elle dit "bon d'accord".
Les autres marmailles arrivent, ils sont contents d'aller en balade, je les laisse choisir un poney et ils partent les chercher. Je prends ma montre, j'accueille encore deux cavalières, je constate qu'aucun des enfants partis chercher les poneys ne revient. Je regarde l'heure, et je pars voir ce qu'ils font. J'arrive vers le pré, je vois tous les enfants arrêtés devant les barrières, je me dis que les poneys ont été lâchés et qu'ils ne peuvent pas aller les prendre seuls. Ils courent vers moi pour me dire "Regarde, la nouvelle jument galope dans le pré !" Je regarde, la nouvelle jument galope effectivement, et les poneys sont bien au paddock. "Et donc, vous n'avez pas commencé à prendre vos poneys ?" "Ben non, on la regarde galoper !" Je regarde l'heure, je dis "Ok mais allons prendre les poneys !"

J'aide les cavaliers à mettre les licols, à préparer les poneys, à régler les étriers, enfin à se mettre en selle et démarrer le premier cours. Un début de mercredi classique.

Je dois surveiller l'heure trop souvent, ajuster les phases de cours aux objectifs, aux acquis, aux différents couples présents, aux concours en préparation, aux autres cours de la journée qu'auront à faire les chevaux.

Mes idoles sont d'autres moniteurs hyper positifs et investis. 
J'adapte ma vitesse de marche à chaque cavalier que j'accompagne au pré (sinon les babys sont semés en 3 mètres) et à chaque cheval que je ramène (sinon je suis semée en 3 mètres)

Pendant une séance je peux déplacer vingt fois de lourdes barres d'obstacles, puis rebelotte l'heure suivante. Dans la journée je vais chercher des poneys en liberté dans un grand pré, parfois ils sont près de l'entrée, souvent ils sont loin. 

Je connais tous les cavaliers du club, même ceux qui n'ont jamais monté avec moi. Pour les cours avec des nouvelles têtes, je note les prénoms dans la paume de ma main pour ne pas vexer les gens en me trompant. 

Je prévois les bêtises d'avance, je les laisse faire ou pas. aux poneys, et surtout aux enfants.
Je hausse le ton souvent, je l'abaisse encore plus souvent, je dis oui beaucoup, je ne me formalise pas pour des broutilles, je ris des masses, je fais rire le plus souvent possible



[Traduction des dessins : "1 - Tu n'aura plus de chocolat, plus de bonbons pour poneys, plus de gâteau. 2 - Tu n'aura plus de pommes, plus de carottes, plus de morceaux de sucre.  3 - Tu n'aura plus RIEN ! Tu m'entends ? Jusqu'à ce que tu m'ai convaincu que tu le mérites ! 
4 -  Je SUIS CONVAINCU ! JE SUIS CONVAINCU !"] 

J'éduque des chiens de passage, je ramasse des licols, des brosses, des bombes et des cravaches plusieurs fois par jour, j'essaie de trouver des formules magiques pour faire passer des infos aux cavaliers qui ne les intègrent pas avec mes formules habituelles, je fais des comparaisons tirées par les cheveux pour imager mes cours. 

je laisse mes soucis dans la voiture le matin, j'essaie d'être d'humeur égale tout le temps, je me promets de m'entraîner encore quand je n'y parviens pas.
J'entends des "Elodie !!!" plus ou moins alarmés 100 fois par jour, parfois je fais semblant de ne pas entendre.
J'entends des : J'y arrive pas, Il veut pas, Je vais tomber, C'est trop haut, Je sais pas faire ça, J'ai peur, On peut remettre les étriers, On peut faire du galop, on peut galoper, je peux partir au galop, on peut refaire un dernier tour de galop ?! Oui, les cavaliers aiment bien galoper. 

Je souris des bonnes dispositions chez chaque cavalier, j'essaie d'aider les mauvaises à se transformer en bonnes, je bannis la violence et la vulgarité;
Je sais me contenter de peu, adapter mon travail, demander un peu plus quand c'est possible, ne jamais précipiter.



[Une patience infinie est indispensable pour atteindre la perfection]

Expliquer, ré-expliquer, rassurer ceux qui ne comprennent pas, l'équitation c'est simple mais c'est compliqué de faire simple.
J'organise et gère des couples chevaux/cavaliers chaque jour, prévois une juste répartition des heures pour mes équidés, essayant de mettre un peu en ordre la journée dès le matin, mais c'est sans compter avec les cavaliers et leurs absences imprévisibles, les caprices, les oublis, les invités surprises.

Donner le temps au temps, tenter de temporiser les enfants pressés, encore plus souvent les parents pressés.
Donner des clefs pour établir le dialogue entre enfants, adultes, chevaux, poneys. J'écoute les récits d'anniversaires, les projets de vacances, les mauvaises notes, les soucis de voiture, les difficultés d'organisation.

Pendant que j'enseigne certains gestes pour obtenir certains effets, je sais qu'il existe des centaines d'équitations différentes, parfois opposées, tout autant de façons d'être avec les chevaux. Je garde l'esprit ouvert, je me renseigne sur les alternatives, en teste une de temps en temps. Je me méfie des certitudes et des techniques globales, qui s'adapteraient à des machines mais pas systématiquement aux être pensants avec qui je vis et travaille.

Je fais de la communication, affiches, messages, annonces orales, mais chaque fois qu'un changement ou l'animation annoncée arrive j'ai droit à une tonne de mines ébahies et de "Quoi ? Y a quoi demain ? Mais je savais pas moi!"
Je stresse plus que les cavaliers sur certains concours, spectacles, etc.

A tout moment il peut arriver une idée pour les cours ou pour les chevaux, des projets qui n'aboutiront pas tous, d'autres qui fonctionneront mieux que prévu, d'autres encore qui tomberont totalement à plat.
Je prends des décisions à chaque instant, avons un œil sur chaque couple pendant les cours, et un autre œil sur les alentours, les cours suivants qui se préparent, ce cheval qui n'est pas amené au bon endroit, cette jument qui est en train de s'échapper de son paddock.

Dès qu'un son inhabituel se produit je tends l'oreille, tache de deviner si c'est grave, prête à me précipiter. Souvent, ce n'est pas grave, mais je me précipite quand même.

Mes horaires sont décalés et bien variables, rarement compatibles avec les sorties, les concerts attendront, l'entourage doit faire avec. 

J'ai un superbe parfum : Ecuries boy&girl ; mon magasin de mode favori est Décathlon, le maquillage résiste rarement à une journée de cours, je connais autant les marques de cuir et de matos que de vêtements. 

Je ne crains pas la saleté, ni l'humidité, ni le froid ni la chaleur. En fait si, mais je fais avec.
Je sais soigner les petites blessures, faire des piqûres en cas d'urgence, repérer un cheval qui ne va pas bien, tenter de savoir ce qui cloche.
Je connais les hôpitaux de la région, même si les chutes graves restent heureusement très rares.




Je sais proposer des activités complémentaires entre elles et susciter la curiosité. J'ai des bases en disciplines classiques, des connaissances dans beaucoup d'autres et j'improvise très bien. Je suis capable d'inventer des jeux, des exercices, des variantes.

Je suis encouragée par les critiques positives, découragée parfois par les négatives, essaye de faire la part des choses et de ne jamais entrer en conflit. J'ai à charge l'ambiance générale du club, des groupes, dois si possible rester au-dessus des tensions.
J'ai un rôle d'exemple, ne me permets pas tout, choisis mes mots et mes actes.

Je ne dois pas faire d'overdoses de phrases telles que : Attention aux distances ; redresse tes épaules ; arrête de regarder par terre ; mets du poids dans tes talons ; Ne tire pas sur la rêne intérieure. Je dois conserver la patience et l'envie pour chaque nouveau cavalier, tout reprendre à zéro chaque début d'année; 

Je vois grandir et évoluer tous les cavaliers, les intérêts changer, les liens se dissoudre ou se consolider, je suis des destinées d'anciens élèves, prends et donne des nouvelles, garde un lien contre lequel le temps ne peut rien.

J'ai toujours des envies d'activités hors-équitation, mais qui devront attendre, une semaine, un mois, trois ans ; J'ai d'autres hobbys que les chevaux, mais c'est un luxe de pouvoir y consacrer un peu de temps entre deux galops. Je sais que j'ai l'énorme chance de vivre de ma passion, j'essaye de garder la tête hors de l'eau pour ne pas m'y noyer.



Je fais partie d'un monde spécial. Je suis parfois regardée de haut et avec désespoir par certains Vrais professionnels qui vont tous révolutionner l'équitation ; Malgré cela j'ai à croire en mes capacités, en ma façon de faire les choses aussi bien que possible. Si ce n'est pas aussi classe que les idéaux, qu'au moins cela cause le moins de tort possible aux chevaux et aux élèves. 

Bref, je suis Prof d'équitation de Club. 

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